From Our Shelves: Feminist Book Review (A Widow’s Vengeance after the Wars of Religion by Tom Hamilton)

✨From Our Shelves: Feminist Book Review✨

A Widow’s Vengeance after the Wars of Religion by Tom Hamilton

Review by CID Volunteer Mathieu Servanton

L’ouvrage de Tom Hamilton propose une étude d’une grande intensité, centrée sur un procès criminel conduit au tournant des XVIe et XVIIe siècles, dans le contexte des guerres de Religion et de leur sortie. Ce travail porte sur l’action judiciaire engagée par Renée Chevalier, veuve noble et seigneuresse de Chaumot, contre Mathurin Delacanche, soldat ayant exercé une autorité militaire locale dans des circonstances qui ont donné lieu à de graves exactions. À partir d’un corpus reconstitué avec soin, l’auteur examine les modalités concrètes par lesquelles une femme peut mobiliser le droit pour obtenir réparation dans un contexte de violence armée et d’instabilité institutionnelle.

L’analyse s’appuie sur une documentation exploitée avec une grande finesse, provenant essentiellement des archives criminelles du Parlement de Paris, qui restitue avec précision les étapes de l’instruction judiciaire. Celle-ci, engagée en 1596 et aboutie au début des années 1600, révèle un ensemble de crimes commis à Chaumot par Delacanche et ses hommes : viols, pillages, homicides, prises d’otages, traitements dégradants. Ce sont des villageois et villageoises de la région qui en témoignent, parfois au prix d’un déplacement long et coûteux vers la capitale. Renée Chevalier organise l’ensemble du dispositif : transport par bateau depuis Sens, hébergement hivernal à Paris, coordination des auditions. Ces éléments permettent de mieux comprendre les conditions matérielles d’un procès criminel au début du XVIIe siècle, et notamment les ressources nécessaires pour espérer une audience équitable.

Le livre s’inscrit dans les développements récents de l’histoire de la justice à l’époque moderne, en particulier ceux relatifs à la criminalité de guerre, à la justice d’exception et à la capacité d’action des femmes. L’auteur replace systématiquement les faits dans les cadres juridiques de l’époque : les articles de l’Édit de Nantes (1598), notamment l’article 86, offrent la possibilité de poursuivre certains crimes graves commis pendant les conflits, sous réserve qu’ils ne relèvent pas des actions de guerre commandées. C’est dans cette configuration que Renée Chevalier parvient à inscrire sa plainte, en soulignant l’autonomie des actes de Delacanche vis-à-vis de toute hiérarchie militaire. L’analyse est solidement ancrée dans la tradition juridique du temps, dont l’auteur rappelle les exigences de preuve, les formes de validité des témoignages et les stratégies procédurales.

L’étude apporte une attention particulière aux dynamiques locales de pouvoir. Renée Chevalier s’appuie sur son statut seigneurial, ses alliances politiques et matrimoniales, ainsi que sur son réseau de soutiens dans les juridictions de Sens et de Paris. Mathurin Delacanche, de son côté, bénéficie un temps de la protection de figures influentes, avant de se trouver isolé après la mort de son protecteur. L’évolution de cet équilibre permet à l’auteur de souligner l’importance des conjonctures politiques dans la réussite d’une action judiciaire.

Le traitement réservé aux témoignages est particulièrement remarquable. Loin de se limiter à un relevé descriptif, Tom Hamilton analyse les récits villageois dans leur dimension performative : il montre comment les témoins adaptent leur parole aux attentes des juges, structurent leurs déclarations selon les formes attendues (preuves de résistance, marques visibles de violence), et mobilisent les cadres narratifs susceptibles d’être entendus par une cour criminelle. Cette approche éclaire les contraintes spécifiques qui pesaient sur les femmes victimes de violences sexuelles dans un cadre judiciaire très codifié, et met en évidence les tensions entre mémoire du vécu et formatage procédural.

Enfin, l’un des apports les plus importants de cet ouvrage tient à sa contribution à l’histoire du viol et de sa qualification juridique en contexte de guerre. En s’appuyant sur ce procès conduit jusqu’à son terme, Tom Hamilton démontre que le viol était bel et bien reconnu comme un crime au XVIe siècle, même lorsqu’il était commis par un soldat pendant une période de conflit. Ce faisant il déconstruit – nous pourrions dire dynamite – les discours contemporains justifiant les violences sexuelles en tant de guerre comme fatum anhistorique et donc inexpugnable. Dès le XVIe siècle, justice pouvait être rendue. Le cas de Delacanche constitue donc à ce titre un précédent important dans l’histoire de la justice criminelle, en ce qu’il permet de documenter les conditions concrètes dans lesquelles une plainte pour violences sexuelles pouvait être instruite, et les formes de reconnaissance que les institutions pouvaient accorder à ces accusations. En cela, ce livre propose une réflexion fondamentale sur les limites de l’impunité à l’époque moderne, et sur les usages différenciés de la justice selon les statuts sociaux et les capacités d’organisation.

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