1. Qu’est-ce que l’écoféminisme ?

[Fr]

(Aleksandra Lankamer) Cet article introduira le sujet de l’écoféminisme, en expliquant brièvement ses origines, donnant une définition du concept/mouvement, et démontrant sa pertinence. Cette introduction va être la première partie d’une série d’articles sur l’écoféminisme, qui vont par la suite aborder son évolution, ses figures et les critiques auxquelles le mouvement a dû répondre, entre autres.

Origines.

Françoise d’Eaubonne est la première à avoir utilisé ce mot, dans son livre intitulé Le Féminisme ou la mort (1974) afin de nommer une contraction entre les mots « écologie » et « féminisme ». Selon d’Eaubonne, cette contraction reflète la nécessité d’associer la révolution féministe à la révolution écologique, toutes deux ayant comme source la domination des hommes : sur les femmes pour la première et sur la nature pour la seconde. D’Eaubonne écrit que « le rapport de l’homme à la nature est plus que jamais, celui de l’homme à la femme » (citation tirée de l’essai de 1978 intitulé Écologie et féminisme. Révolution ou mutation ?).

Le système de domination à l’origine de la surexploitation des ressources naturelles et de la destruction de l’environnement est attribué aux hommes, et ainsi au système patriarcal. L’auteure lie en effet les valeurs dominantes masculines à la destruction et l’agressivité, et les valeurs réprimées féminines à la conservation. Ces valeurs masculines systémiquement privilégiées seraient la cause de la dégradation de l’environnement par un encouragement de la surproduction agricole, mais aussi de la sur-reproduction humaine. Elle souligne toutefois son détachement d’une essentialisation du masculin et du féminin, et ainsi son opposition à une conceptualisation de ces valeurs de destruction, d’une part, et de conservation, comme étant innées aux hommes et aux femmes, respectivement.

Comprendre les origines de l’écoféminisme dans la littérature de Françoise d’Eaubonne est important, mais il est nécessaire de reconnaitre que la signification de ce mot, et du mouvement écoféministe, ont subi différents points de rupture et continuité dans les dernières décennies. L’écoféminisme, comme toute théorie et tout mouvement social et activiste, n’est pas statique ou figé dans le temps, mais est réactif. Les différences au sein de l’écoféminisme vont davantage être explorées dans un article subséquent.

Tentative de définition.

Comme mentionné ci-dessus, l’écoféminisme est varié et désigne divers mouvements et courants de pensée, qui peuvent avoir des points et des arguments plus ou moins divergents. Cependant, des points en commun existent et permettent de former une définition basique de l’écoféminisme.

Tout d’abord, un point de convergence repose sur l’argument de la dégradation de l’environnement et la subordination des femmes et des personnes non-binaires, transgenres et/ou de genre fluide, étant toutes deux des conséquences du patriarcat et du capitalisme ; les deux prôneraient l’agressivité et la domination, tout en dévaluant le soin (« care ») et la coopération, autant à l’égard des femmes et des minorités de genre que à l’égard de l’environnement. L’écoféminisme considère donc que les actions écologistes pour la protection de l’environnement doivent prendre en compte leur impact (potentiel) différencié en fonction du genre, et les actions féministes pour l’égalité des genres doivent de même prendre en compte leur impact (potentiel) sur l’environnement. Ceci afin d’empêcher la continuation du système hiérarchique imposé par le patriarcat et le capitalisme, sources de la dégradation écologique et de l’oppression continue des femmes et minorités de genre.

Plus récemment, des théoriciens/théoriciennes et activistes écoféministes ont ajouté une perspective anticolonialiste, en nommant le colonialisme comme système de domination au même rang que le patriarcat et le capitalisme. L’écoféminisme se tourne de ce fait de plus en plus vers une perspective plus large, une qui est intersectionnelle. En adoptant celle-ci, les écoféministes reconnaissent et prennent activement en compte le fait que divers systèmes d’oppression s’entrecroisent. Dans le cas du changement climatique et de la dégradation de l’environnement, celui-ci impacte inégalement la population, non seulement en fonction du genre, mais aussi en fonction d’autres catégories d’identité, comme la couleur de peau, l’origine, l’ethnicité, l’orientation sexuelle, la présence ou non d’handicap etc.

Pour résumer, le but de ce courant de pensée et de ce mouvement activiste est d’adopter une perspective et des solutions qui allient les causes écologiste et féministe. On ne devrait pas privilégier la protection de l’environnement au dépit de l’égalité des genres ou vice versa, mais plutôt s’assurer que les deux sont pris en compte pour que les deux soient en effet réalisés entièrement. En bref : l’un ne peut pas avancer sans l’autre.

Pourquoi une perspective écoféministe est-elle importante ?

Au-delà d’une conceptualisation abstraite, les écoféministes insistent sur l’intersection de l’oppression de l’environnement naturel et de l’oppression des femmes et minorités de genre par des observations concrètes. Le fait est que le changement climatique a un impact inégal sur la population globale, creusant les inégalités. Causant des déplacements forcés, une sécheresse accrue, une diminution des ressources disponibles nécessaires à la survie, et des catastrophes naturelles plus fréquentes, le changement climatique n’affecte pas tout le monde de la même façon, ou à la même ampleur.

A l’échelle mondiale, comme l’écrit Jeanne Burgart Goutal dans Après la pluie. Horizons écoféministes :

« 70% des personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont des femmes ; les femmes ne possèdent que 2% des terres et ne perçoivent que 10% des revenus (…) Cette infériorité économique les rend plus précaires, plus vulnérables, réduit leurs possibilités de choisir leurs lieu et mode de vie, et d’avoir ainsi le privilège de se protéger des risques et nuisances » (p.10).

Les pays du Sud global, les pays les plus pauvres, sont les plus affectés et possèdent le moins de moyens pour faire face au changement climatique. Les femmes des pays plus pauvres, en particulier, subissent une forte augmentation de leur travail domestique non-rémunéré et de soin (« care »), étant dans nombreuses sociétés celles avec la responsabilité d’approvisionnement d’eau et de nourriture, rendue plus difficile par la raréfaction des ressources naturelles.

D’autre part, en Europe, les femmes sont plus à risque d’habiter dans des zones inondables (le risque d’inondations étant accru dû au changement climatique) que les hommes. Des recherches concernant les crises et catastrophes naturelles ont aussi démontré que les violences sexistes augmentent à la suite de ces dernières, plaçant plus de femmes et minorités de genre à risque de violence physique, psychologique et reproductive. On observe ainsi un lien entre les crises engendrées par le changement climatique et une violence patriarcale accrue.

La situation de crise climatique n’est pas neutre et impacte particulièrement et davantage les femmes, mais aussi les personnes LGBTQIA+, les communautés autochtones, les personnes déplacées de force, les personnes afro-descendantes, ainsi que les habitants de zones rurales, éloignées et/ou sujettes aux conflits. Une perspective écoféministe intersectionnelle consiste donc à reconnaitre cet impact, qui est différencié et qui renforce les inégalités existantes, et à élaborer et implémenter des solutions adaptées.

Bibliographie

Livres disponibles au CID :

Ducrétot, S., & Jehan, A. (2020). Après la pluie. Horizons écoféministes. Tana Editions.

Goldblum, C. (2019). Françoise d’Eaubonne & l’écoféminisme. Editions le passager clandestin.

Samb, R. (2016). L’écoféminisme dans la géopolitique. Femmes et développement durable. L’Harmattan.

Livres :

D’Eaubonne, F. (1974). Le féminisme ou la mort.

D’Eaubonne, F. (1978). Ecologie/féminisme. Révolution ou mutation ?

 

Articles académiques :

Benevolenza, M.A., & DeRigne, L. (2019). The impact of climate change and natural disasters on vulnerable populations: A systematic review of literature, Journal of Human Behavior in the Social Environment, 29(2), 266-281, DOI: 10.1080/10911359.2018.1527739

Buckingham, S. (2015). Ecofeminism. International Encyclopedia of the Social and Behavioural Sciences, 845-850. https://doi.org/10.1016/B978-0-08-097086-8.91020-1

Gandon, A.-L. (2009). L’écoféminisme : une pensée féministe de la nature et de la société. Recherches féministes, 22(1), 5–25. https://doi.org/10.7202/037793ar

Hajat, S., Ebi, K.L., Kovats, R.S., Menne, B., Edwards, S., Haines, A. (2005). The Human Health Consequences of Flooding in Europe: a Review. In: Kirch, W., Bertollini, R., Menne, B. (eds) Extreme Weather Events and Public Health Responses. Springer. https://doi.org/10.1007/3-540-28862-7_18

Kings, A.E. (2017). Intersectionality and the Changing Face of Ecofeminism. Ethics and the Environment, 22(1), 63–87. https://doi.org/10.2979/ethicsenviro.22.1.04

Kirk, G. (1997). Ecofeminism and Environmental Justice: Bridges across Gender, Race, and Class. Frontiers: A Journal of Women Studies, 18(2), 2–20. https://doi.org/10.2307/3346962

Nirmal, P. (2020). Nature and Gender. International Encyclopedia of Human Geography, 285-293. https://doi.org/10.1016/B978-0-08-102295-5.10232-X

Raïd, L. (2015). Val Plumwood : la voix différente de l’écoféminisme. Cahiers du Genre, 59, 49-72. https://doi.org/10.3917/cdge.059.0049

Sloand, E., Killion, C., Gary, F.A., Dennis, B., Glass, N., Hassan, M., … Callwood, G.B. (2015). Barriers and Facilitators to Engaging Communities in Gender-Based Violence Prevention following a Natural Disaster. Journal of Health Care for the Poor and Underserved, 26(4), 1377-1390. doi:10.1353/hpu.2015.0133.

 

Articles de presse/organisations :

Economist Impact. (2023, January 10). Gender inequality and climate change are not separate challenges. https://impact.economist.com/sustainability/social-sustainability/gender-inequality-and-climate-change-are-not-separate-challenges

Gloor, J.L., Bajet Mestre, E., Post, C., & Ruigrok, W. (2022, July 26). We can’t fight climate change without fighting for gender equity. Harvard Business Review. https://hbr.org/2022/07/we-cant-fight-climate-change-without-fighting-for-gender-equity

Oxfam France. (2021, octobre 28). Les principes de l’écoféminisme. https://www.oxfamfrance.org/inegalites-femmes-hommes/principes-ecofeminisme/

Oxfam France. (2022, février 4). Changement climatique : cause, conséquences et solutions. https://www.oxfamfrance.org/climat-et-energie/comprendre-les-changements-climatiques/

The Guardian. (2021, September 22). ‘Ecofeminism is about respect’: the activist working to revolutionise west African farming. https://www.theguardian.com/global-development/2021/sep/22/ecofeminism-is-about-respect-the-activist-working-to-revolutionise-west-african-farming

 

 

 

 

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