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(Aleksandra Lankamer) Le mouvement écoféministe s’est fortement développé entre les années 1970 et 1990, avec l’apparition de diverses théories, divers mouvements activistes. Cependant, avec cet essor sont apparues des voix critiquant l’écoféminisme, soit dans ses idées fondamentales ou dans sa conceptualisation par certains/certaines. Ces voix résonnent particulièrement fort au cours des années 1990, en réaction à la récente popularisation du concept durant la Guerre Froide (par des actions anti-nucléaires telles que Greenham Common ou Women’s Pentagon Action) mais aussi à la suite de la publication de Ecoféminisme, livre écrit par Vandana Shiva et Maria Mies. En effet, c’est ce livre-ci qui a causé un certain écho des idées écoféministes en France (entre autres), bien après la première apparition du mot « écoféminisme » dans l’œuvre de l’auteure française Françoise d’Eaubonne.
Le reproche d’essentialisme est sûrement celui qui est le plus répété. Mais qu’est-ce que l’essentialisme ? Dans le contexte du genre, l’essentialisme est une pensée qui attribue des caractéristiques propres aux hommes, d’une part, et aux femmes, d’autre part. L’identité de genre aurait ainsi une essence, qui impacterait non seulement le corps, mais aussi le comportement et le caractère (par exemple, les valeurs). Selon cette pensée, la masculinité et la féminité sont de ce fait intrinsèquement et naturellement distinctes. L’essentialisation du genre est vue comme dangereuse d’une perspective féministe étant donné qu’elle refuse la distinction entre sexe et genre, et contribue à la différenciation et stéréotypisation des hommes et des femmes.
Vers la moitié des années 1990, plusieurs féministes ont ouvertement critiqué l’écoféminisme, en disant que son fondement sur un lien entre la femme et la nature reviendrait à essentialiser le genre. Par exemple, Mary Mellor écrit plusieurs articles catégorisant l’écoféminisme en un courant social/socialiste et un autre d’affinité. Le courant qu’elle définit comme « socialiste » verrait le lien entre femmes et nature comme socialement construit, tandis que celui qu’elle définit comme « d’affinité » considèrerait les femmes comme plus proches du monde naturel en tant que mères et représentantes d’une force spirituelle féminine, les essentialisant de fait. Cependant, Mellor insiste sur le fait que ce reproche d’essentialisme ne peut être fait que pour une petite minorité d’écoféministes.
On peut percevoir un autre exemple, plus universaliste (c’est-à-dire avec moins de reconnaissance de la diversité au sein de l’écoféminisme), dans les écrits de Janet Biehl ou Lucy Sargisson. Les deux auteures accusent ce mouvement de pensée d’être biologiste, incohérent et irrationnel.
De nombreuses réponses aux critiques ont suivi. Dans cet article, je souhaiterais me pencher sur un article entier dédié à la réponse aux critiques de Janet Biehl, écrit par Ariel Salleh en 1993. La critique d’incohérence est une que Salleh refuse en insistant sur la complexité du mouvement, par la diversité des contextes sociaux où il agit, qui reste unie par l’expérience commune des femmes : celle de l’oppression patriarcale. Salleh considère cela comme un fait, lié à la position marginalisée des femmes, et non pas à leur essence féminine, tel suggéré par Biehl. L’accusation d’irrationalité est une autre que Salleh conteste en mentionnant que la vision de Biehl de ce qui est « objectif », « scientifique » et « rationnel » est ancrée dans la domination de la science occidentale et de l’épistémologie positiviste, toutes deux menées à l’origine par des hommes, et liées ainsi à un ordre patriarcal.
Je souhaiterais aussi citer la réponse, plus récente, de Jeanne Burgart Goutal, auteure de Etre écoféministe : Théories et pratiques au reproche d’essentialisme. Celle-ci résume le lien entre femmes et nature tel qu’il est majoritairement conceptualisé par les écoféministes : « l’essentialisme est très minoritaire au sein du corpus écoféministe. La grande majorité des textes se situe au contraire dans un constructivisme soutenant l’idée que c’est le patriarcat qui associe nature et féminité pour dominer les femmes »
On observe donc que la fin de la Guerre Froide, le transfert partiel de l’écoféminisme des milieux activistes vers les milieux académiques, et les critiques adressées au mouvement, sont des facteurs ayant contribué à un ralentissement de l’écoféminisme et à son effacement partiel dans les discussions publiques pendant les années 1990.
Malgré les critiques formulées contre le mouvement, et un léger recul, l’écoféminisme maintient sa présence autant dans l’activisme politique, à un niveau global, que dans les milieux académiques. Susan Buckingham, dans son article retraçant les grandes lignes de l’écoféminisme, dit en effet que le nouveau millénaire marque la redynamisation de celui-ci, avec un intérêt académique et populaire croissant face aux questions, concepts, pratiques et activismes écoféministes.
De plus en plus, c’est les actions et théories de femmes de couleur, de femmes du Sud global et de femmes de pays colonisés qui sont sous les projecteurs. L’intersectionnalité, c’est-à-dire le fait de l’existence de croisements entre divers types de discrimination, sur base de genre, ethnicité, religion, orientation sexuelle, couleur de peau, origine, classe sociale, par exemple, est de plus en plus prise en compte dans nombreux mouvements sociaux au XXIème siècle. C’est le cas pour l’écoféminisme également. Si la diversité au sein de l’écoféminisme est ce qui fait sa force, comme l’affirme Jeanne Burgart Goutal dans Être écoféministe : Théories et pratiques, cette diversité s’approfondit au fil du temps. Je ne peux que donner quelques exemples ici.
Bibliographie
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